12-06-2005
L'envers des apparences
Images trompeuses
Jérôme Delgado
collaboration spéciale, La Presse
Des casse-tête tronqués, des produits industriels comme trésors archéologiques,
un tourniquet tournant dans le vide, les objets ont perdu leur sens premier.
L'expo de l'été, au Musée d'art contemporain, ne s'intitule pas seulement L'envers
des apparences, un joli slogan l'accompagne: ce que vous voyez n'est pas ce
que vous voyez.
On pourrait même ajouter que si parfois vous ne voyez rien, ou vous voyez du
vide, ce n'est pas qu'il n'y ait rien à voir. L'art, sa raison d'être, se
trouve sous la surface des choses. Et même derrière des portes closes. Et là,
il faut jouer le jeu: Le Courtisan, de Yannick Pouliot, est à découvrir enfermé
dans un caisson. Osez, ça vaut le coup.
Si le thème de cette expo est peu original, son ton est savoureux, à l'instar
du texte du commissaire Gilles Godmer, qui frôle la provocation. Rappelant que
la profusion d'images de notre époque « haute vitesse » pousse à consommer sans
vergogne, même dans un musée, il nous prend par la main et nous dit: regardez
attentivement, attardez-vous!
Télés embrouillées (Porn, de Kelly Mark), un escargot avançant à petit pas
(Snail d'Euan MacDonald), tout le travail de Germaine Koh (c'est d'elle, le
tourniquet): dans ces cas où il ne semble rien se passer, la commande du
commissaire est à prendre au sérieux.
Les sens cachés ne manquent d'ailleurs pas et les salles a priori laissées
vides par Koh et par Taras Polataiko révèlent tout ce qu'on ne voit plus, ou
pas, la lumière du jour chez l'une, la réinsertion sociale chez l'autre.
Il y a bien sûr des moments moins forts, mais entre le ludisme des uns et la
malice des autres, L'envers des apparences est à prendre en entier. Les 11
artistes composent un tout cohérent où la répétition, l'accumulation,
l'appropriation et le grand format semblent être la façon de faire. Du côté
québécois surtout.
Jérôme Fortin, reconnu pour accumuler tout ce que l'industrie lui fournit (des
bouchons de liège aux contenants en plastique), offre une murale tout en
finesse inspirée du cinéma. Yannick Pouliot, outre son Courtisan et un sofa
victorien difforme, propose un cinglant et ambigu regard sur la réalité «
hôpital » avec la série photo Couloirs. Annie Baillargeon, photographe elle
aussi, fait de son corps un motif presque abstrait dans des oeuvres d'un kitsch
parfois un peu trop manigancé.
Jean-Marc Mathieu-Lajoie, l'aîné du groupe, s'amuse à déconstruire les belles
images des casse-tête. Mais un trop-plein d'exemples finissent par lasser et
font perdre la singularité de ces assemblages. Le point faible de l'expo.
Par un mélange d'ancien et d'inédit, on a droit à 11, ou presque, mini-rétrospectives.
La simple mise en place permet de passer en revue un artiste après l'autre.
De cet ensemble très multidisciplinaire, plus d'un révèle sa polyvalence.
Réalité d'une époque. Taras Polataiko, outre sa salle de lumière, présente de
la peinture et de la photo, où les subtilités et les trompe-l'oeil exigent
qu'on lui consacre, oui, beaucoup de temps. Pour bien apprécier l'humour et
l'ode à la banalité d'Euan Macdonald, il faut aussi patienter.
Derrière cette fascination pour le rien, il y a la volonté de montrer un autre
visage de la planète. L'envers des apparences, c'est aussi ça: un monde moins
haute vitesse, moins perfectionniste, plus artisanal, plus humain.
L'ENVERS DES APPARENCES, Musée d'art contemporain de Montréal, jusqu'au 11
septembre. Du mardi au dimanche. Info: 514 847-6226.